Luc Julia, auditionné au Sénat : « Siri ne nous écoute pas (...) C'est physiquement impossible »

Tel qu'en lui-même Luc Julia s'est présenté le 18 juin devant la Commission des affaires économiques du Sénat : chemise colorée, décontraction et libre parole.
Le directeur scientifique de Renault et co-concepteur de Siri a été bombardé de question par une douzaine de sénateurs conquis par la présence d'un des premiers ingénieurs français à s'être fait un nom dans la Silicon Valley.

Financement de l'IA en France, régulation, Siri, éducation... durant 90 minutes, Luc Julia a répondu librement... en faisant du Luc Julia... Florilège.

Sur le financement de l'innovation en France

« Le problème des financements, c'est un énorme problème. On n'a pas de capital-risque en Europe. On n'a pas de capital-risque en France. Alors là, je vais certainement rentrer un peu dans une polémique dans laquelle je n'ai absolument pas ma place parce que de toute façon, je n'y connais rien. Mais quand on a 600 milliards sur les livrets A qui sont disponibles, Quand on a 1 600 milliards dans les assurances vie qui sont disponibles...
Moi je vois le modèle américain, c'est pas la panacée... Mais les fonds de pension financent les Venture Capitalist (VC), les capital-risqueurs.
La moyenne d'un fonds VC en Europe et en France, c'est 200-300 millions. Mais avec 200-300 millions, vous ne pouvez pas faire des investissements de 100 millions. Et donc, quand vous devez financer une scale-up, et on a vu ça avec Mistral par exemple, on ne parle pas de 10 millions ou de 5 millions. On parle de centaines de millions. Et aucun VC français et même européen n'est capable de faire ça. Et c'est dommage parce que l'argent, il y en a... »

Sur la place de la France dans l'industrie de l'IA

« Sur la place de la France, la qualité de nos chercheurs et la qualité de ce qu'on est en France. Il faut se dire une seule chose, c'est qu'on est les meilleurs. Et malheureusement, on ne se le dit pas assez. En France, vous aimez bien vous flageller et vous dire que vous êtes nul, qu'il y a le nivellement par le bas, que notre éducation est à chier. Tout ça, c'est ce que j'entends de là-bas. Et ça me fatigue, parce qu'on est les meilleurs.
Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les médailles Fields (l'équivalent du Prix Nobel pour les mathématiques, NDLR). Encore une fois, je vous rappelle que l'IA c'est des mathématiques. Et nous, en France, on a le plus de médailles Fields dans le monde. Ça veut dire quoi ? Qu'on est les meilleurs en maths du monde.
Dans la Silicon Valley, vous l'avez noté, il y a beaucoup de gens qui sont partis, mais il y a longtemps. Moi, je suis parti il y a 32 ans. Yann LeCun est parti il y a 30 ans. Depuis 2013 en France, depuis la French Tech, depuis la Bpi, il y a des pépites qui se forment en France. On a retrouvé le goût de l'entrepreneuriat et donc on a aussi retrouvé le goût de faire des choses qui sont intelligentes en France. Dans la Silicon Valley aussi, on est 55 000 français. Il y a la moitié de boulangers et la moitié d'informaticiens. Et les informaticiens, on se les arrache pour faire de l'IA. Et quand vous regardez n'importe quelle boîte, Meta, Netflix, Google... le chef de l'IA est français. Donc on va se détendre, on va arrêter de se flageller et on va se dire qu'on est les meilleurs. Il faut se le répéter tous les jours et moi je le répète tous les jours. »

Sur la régulation de l'IA

« Comme tous les outils, les IA peuvent être utilisés à bon et à mauvais escient. Le marteau peut être utilisé très bien pour planter le clou, il peut être utilisé très bien pour vous taper sur la tête. Contrairement à ce qu'il aurait pu être interprété par rapport à ce que je viens de dire sur l'IA Act, je suis pro régulation. C'est-à-dire qu'on doit réguler. Mais on doit réguler quand on comprend. On ne doit pas réguler a priori, c'est une bêtise absolue. Et c'est ce qui se passe avec l'IA Act. Je pense que réguler a posteriori, des fois c'est un peu embêtant parce qu'on laisse des victimes sur le bord de la route, et c'est ce qui se passe aux États-Unis en général. Mais il y a un certainement un juste milieu qui fait qu'on doit avoir des gens qui comprennent le machin pour pouvoir réguler le machin correctement. »

Est-ce que Siri nous écoute ?

« Siri ne nous écoute pas [...] C'est physiquement impossible, en fait. Bon, je suis assez bien placé pour vous le dire. C'est absolument impossible d'écouter tout, tout le temps et de le storer sur des disques. C'est pas possible. C'est idiot de penser que ça serait possible. Par contre, les attaques qui sont faites aujourd'hui contre Siri, ce sont des attaques qui ont du sens car, des fois, il y a des phrases qui ne sont pas bien reconnues et on considère qu'il y a une limite.
Cette limite est à 70 % et quand on n'est pas sûr à moins de 70 % de la reconnaissance de la phrase ; elle est extraite, anonymisée et envoyer à des humains qui vont écouter la phrase pour savoir pourquoi elle n'a pas été reconnue correctement et comment on peut améliorer le modèle pour que la prochaine fois une phrase du même type soit mieux reconnue. Donc c'est rare. C'est très rare par rapport aux 500 millions d'utilisateurs quotidiens de Siri aujourd'hui. »

Sur Deepseek

« Je l'appelle Deept pschitt [...] parce qu'on ne sait pas comment le modèle a été créé. Par contre ce qu'on sait, c'est que le modèle à l'utilisation, à l'inférence, est plus frugal. Et ça c'est vrai, on peut le vérifier parce qu'il est open source. Ce qu'ils ont fait c'est malin et donc j'aurais aimé, franchement, que ce soit les français qui le fassent. C'est un peu ce que fait Mistral. On a des modèles qui sont des modèles plus frugaux et qui sont malins aussi. [...] »

L'intégralité de l'audition de Luc Julia devant la Commission des affaires économiques du Sénat.